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Mémoire des Équipages des marines de guerre, pêche, commerce & plaisance de 1939 à 1945
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16 embarquements


Année 1911 : LONGAUD LéonPÉROT Raoul

Année 1914 : PÉROT Raoul

Année 1922 : GUIOT Amédée

Année 1923 : MAGNIER Albert

Année 1927 : MUSELIER Émile

Année 1928 : GUÉZÉNOC YvesLE SAOÛT MauriceSTAEHLE Guillaume

Année 1929 : CELERIER AndréLAOT ProsperMOTARD AndréMOULLEC (alias) MORET RaymondPÉRON Jean

Année 1930 : CHIEUX FernandKERLEGUER Jean-pierre

Article


Carnet de guerre (Avec l'aimable autorisation de M. John Le Garignon) (18155)

par _HOMME_12716_ le 02 août 1914

Bord le 2 août 1914

Depuis quelques jours déjà on lisait les journaux en temps de guerre passionnément pour savoir ce qui résulterait de ce conflit qui est soulevé par l'Autriche.

C'était par une belle journée très chaude; nous avions embarqué les munitions pour l'école à feu qui devait être fait sur l'île de la Vacca. Nous avions également notre complet de charbon. Les permissionnaires étaient à terre. Tout à coup vers les 5 heures le canon tonne; c'est un salut, pense-t-on, mais voilà que 5 minutes après une 2è puis un troisième et voilà qu'à chaque coin de rue un soldat ou un pompier sonne du clairon la sonnerie si lugubre, celle qui fait le plus remuer le sang. Les nerfs se tendent on grince des dents, c'est l'ordre de mobilisation. Chacun doit faire ses adieux et se rendre immédiatement à sa caserne. À Toulon ce fut un mouvement indescriptible. On voyait les femmes pleurer, les marins se serraient la main et chacun vidait son verre et s'en allait d'un pas pressé vers le quai Gromstadt où les embarcations attendaient les hommes pour les ramener à bord.

L'ordre est arrivé d'allumer les feux et de se tenir prêt à appareiller. Aussitôt on a débarqué les munitions d'exercice et remplacé par les munitions de combat. Le lendemain il n'y avait pas eu encore ordre d'appareiller et comme tout le monde avait rallié le bord la veille, l'Amiral a autorisé les permissionnaires à descendre à terre jusqu'à 8 heures avec ordre de rallier au 1er signal. Les permissionnaires sont tous rentrés à 8 heures. Loin d'être tristes, ils chantaient. Le marin même devant le danger ne perd pas sa belle humeur et sa gaieté. La nuit vers les 3 h branlebas, tout le monde au poste d'appareillage. Les cheminées crachent de la fumée épaisse, l'ordre est arrivé d'appareiller. Dans le port, une noire fumée s'élève puis s'abat sur la ville dont on ne voit même plus les réverbères. Ce sont les contre torpilleurs qui vont sortir pour éclairer l'escadre. Puis ce sont les grosses unités qui se faufilent silencieuses pour prendre le large. Nous ne savons pas encore pour quel pays. Aussitôt perdu la terre de vue, on affiche dans la batterie que nous allons en Algérie chercher les troupes et les convoyer en ... commandant prévenait de faire une bonne ... en nous disant que nous étions responsables de la vie de tous ces braves soldats. Son avertissement était bon mais chacun de nous savait ce qu'il avait à faire. Dans la nuit du 3 ou 4, on nous annonce que la guerre était déclarée. Je trépignais de joie, me disant qu'enfin l'heure de la revanche était arrivée. Dans la matinée nous apprenons que les croiseurs Allemands avaient bombardé Bône et Phillipeville. Ah! Si nous pouvions les rencontrer. Au lieu de continuer sur Bône nous faisons route sur Alger, car la 3ème escadre est partie là-bas et ils sont vieux ces bateaux. Nous allons les rejoindre et si le UNITEi_Goëben_ continue sa route sur Alger ce ne sera pas des crabes, comme ils les appelaient, qu'il trouvera. Ce sera toute une armée très forte. Le 4 nous arrivons en vue d'Alger pas de navire de guerre étranger, aussi l'amiral donne l'ordre à chaque escadre de se rendre à sa mission. Aussitôt nous faisons route vers Bône tandis que la 3è va à Oran, la 2ème escadre reste à Alger et ira ensuite à Phillippeville ...

Nous arrivons en vue de Bône. Les paquebots ... du port avec leur chargement d'hommes. L'Amiral les fait se placer à notre gauche, c'est l'heure de hisser les couleurs. On hisse les couleurs la musique joue la Marseillaise, l'hymne Anglais et l'hymne Russe, puis la marche des tirailleurs et pour terminer le chant du départ. Tout le monde est tête nue et quand la musique se tait les soldats nous remercient en criant vive la France. C'était vraiment beau. Les paquebots sont intercalés entre chaque bâtiment et l'on part au large vers la terre de France vers la mère menacée que tous ses fils devenus hommes vont se faire tuer pour elle pour la défendre contre l'Allemand maudit. Nous apprenons que les croiseurs vont payer cher leur audace car ils sont poursuivis par les Anglais. Nous aurions pu aussi les poursuivre mais nous avions une autre mission pour le moment. Il fallait aussi aller à Ajaccio chercher d'autres troupes. Et ces braves soldats, on avait besoin d'eux sur la frontière. Enfin nous arrivons à Toulon, nous complétons notre charbon et les vivres puis on débarque le matériel inutile en temps de guerre et le matériel inflammable. Jusqu'au linoléum est arraché de sur les ponts et jeté à l'eau; il ne reste plus à bord que du fer.

Le charbonnage s'est fait par cargo, 1500 tonnes; nous avons travaillé jusqu'à 1 heure du matin. Après s'être reposés jusqu'à 4 heures on fait le branlebas et à 8 heures du matin le dimanche 9 août nous partons pour Bizerte. Mais arrivés à mi chemin le commandant en chef signale le ralliement au large du cap Bon. Lui est parti d'un côté avec la _UNITEi_2ème Escadre_ pour explorer la mer pendant que de notre côté nous en faisions autant. Le 11 tout le monde était au large du cap Bon. Route vers Malte. Le mercredi 12 après avoir erré dans la brume toute la nuit nous arrivons en face de Malte. Nous rentrons mais comme nous sommes nombreux et que le port n'est pas très abordable nous mettons beaucoup de temps pour rentrer. Une foule immense est massée sur les fortifs et crie vive les nations amies. La musique joue les hymnes et la notre répond et à chaque hymne c'est des cris qui s'élèvent dans l'air et tout cela est vraiment beau et remue le cœur. Aussitôt amarré nous commençons le ravitaillement; nous embarquons 1600 tonnes de charbon que nous avons commencés à 4 heures et avons terminé à 10 heures. Le jeudi 13 août nous appareillons pour l'Adriatique. Jour et nuit poste de veille. Une bordée de 8 h. à 11 heures, une 2è de 11 heures à 2 h. et ainsi de suite; ce service durera pendant toute la guerre. Les tourelles sont approvisionnées de 12 coups. En 2 seconde les pièces sont prêtes à cracher.

Enfin le 15 août nous arrivons à l'Île de Corfou; là 2 croiseurs anglais sont venus nous rejoindre. Ils faisaient le blocus en nous attendant. Aussitôt à l'abri de terre nous commençons par ravitailler les torpilleurs en charbon et en vivres. Tout à coup au large un destroyer; il signale qu'un croiseur Autrichien et un torpilleur bombardent la côte Monténégrine. Les signaux montent. Les commandants des torpilleurs font arrêter l'embarquement du charbon et des vivres, larguent les amarres et les torpilleurs filent à toute vapeur vers le large enveloppés d'un épaisse fumée que le vent pousse dans le sens de leur marche ce qui les rend complètement invisibles. Puis c'est le tour des grosses unités, le _UNITE_50_, le _UNITE_49_, le _UNITE_80_ et ses cinq frères, puis les types _UNITE_879_. Tous en ligne de file s'éloignent de la terre grecque, le jour baisse nous faisons cap au nord, à l'horizon le soleil disparaît dans l'onde. Il fait vraiment beau. Bientôt l'obscurité mais de ces grosses mastodontes aucune lumière ne parait et elles glissent maintenant dans la nuit à une vitesse de 18 nœuds. Pas un seul bruit à bord, on croirait à un vaisseau fantôme seul le bruit de l'eau refoulée par les épaules du navire et à l'intérieur le ronronnement des machines qui battant toujours la même cadence tournent à une vitesse de 260 tours à la minute. Chacun à son poste de veille car nous sommes maintenant pour ainsi dire dans le territoire de l'ennemi si l'on peut s'exprimer ainsi. Bientôt le jour tribord est de veille rien encore. Nous avons changé de route c'est que probablement nous avons atteint la hauteur de l'ennemi mais nous sommes trop au large pour le voir. Aussi nous approchons de terre. Après déjeuner on rappelle au poste de lavage mais à peine avais-je disposé une manche d'incendie pour le lavage de la batterie qu'on rappelle au poste de combat. En un clin d'œil chacun était à son poste et je me demande comment 1000 hommes répartis partout dans un bateau si grand aient pu se rendre à leur poste de combat si rapidement. Je puis dire que moi j'étais non loin de mon poste et que je m'y suis rendu en 2 minutes. Aussitôt que j'y étais je rendais l'appel complet. Le poste central donne l'ordre de charger les pièces. Les Autrichiens commencent à tirer mais leurs coups tombent à 1000 mètres trop court. On entend le bruit sourd des 305 c'est le _UNITE_50_ qui a ouvert le feu; aussitôt comme mû par une même main toutes les pièces de tribord de tous les bâtiments ont tiré une salve puis 2 puis 3. Le bateau ennemi a commencé à couler l'arrière le 1er. Il y a eu une explosion à bord et il a disparu en l'espace de 12 secondes. Le torpilleur marchait à une grande allure et il faisait des zigzags qui rendaient le tir inappréciable. Les obus pleuvaient autour de lui et il disparaissait sous la gerbe d'eau mais aussitôt il reparaissait filant toujours. Sûrement il était habilement manœuvré et avec beaucoup de sang froid le _UNITEi_Jurien de la Gravière_ a été lancé à sa poursuite mais craignant les mines il a été rappelé, et le torpilleur est rentré à Cattaro. Les autres aussi sont des braves et si eux comme ils le disent nous méprisent nous Français et marins, c'est à dire celui qui n'a peur de rien le marin français dira qu'ils sont des braves, ils sont morts en braves, ils n'ont pas demandé pitié devant le nombre et la force, ils ont préféré mourir.

C'était le 16 août je me rappellerai toute ma vie ce mot de _PAROLE_paré_ que j'ai crié au pointeur j'allais recevoir le baptême du feu.

Les torpilleurs sont retournés à l'endroit où avait coulé le _UNITEi_Zent(i)a_ mais ils ne découvrirent rien, tout était englouti. Nous sommes retournés vers Corfou pour charbonner. Le jour on charbonne et la nuit on marche à petit allure croisant dans l'entrée de l'Adriatique. Les torpilleurs dragueurs sont là-haut dans l'Adriatique qui explorent le fond de la mer pour savoir si nous pouvons naviguer sans danger jusqu'à Cattaro.

Dans la journée du 18 approvisionnement des contre torpilleurs en charbon pain vin huile. Nous avons à signaler un incident survenu dans la nuit du 17; 2 torpilleurs, le _UNITEi_Cavalier_ et le _UNITEi_Janissaire_ se sont abordés; le _UNITEi_Janissaire_ a son avant retourné de travers; il fut remorqué par l'aviso _UNITEi_La Hire_ jusqu'à Malte. Le _UNITEi_Cavalier_ put rejoindre lui-même le port de Malte par ses propres moyens. Le 20 août la _UNITEi_1ère escadre_ reçoit l'ordre de se diriger sur Malte. Le 21 arrivée à Malte à 2 H. de l'après-midi. Embarquement de 1600 tonnes de charbon. Nous travaillons jusqu'à 10 h. du soir et le lendemain nous recommençons à 4h. À 11 heures, c'était fini; le reste de la journée est employé à l'embarquement des vivres, farine, vin, huile, biscuit. Tout cela venu par le transport le _UNITEi_Bien Hoa_ chargé d'approvisionner l'escadre. Le 24 service ordinaire au mouillage, propreté sommaire car il n'y a pas grand matériel de propreté. Et puis le charbonnage nous tue et le sommeil coupé au moment où on dort le mieux est encore plus esquintant. Mais il ne faut pas se plaindre et je ne me plains pas, je dis simplement ce qui est sans demander quoi que ce soit. Le 25 branlebas le matin comme à l'ordinaire; à 8 heures embarquement de 70 tonnes de charbon terminé à 9h. Dîner et à 2 heures appareillage pour l'entrée de l'Adriatique; six sous-marins venant pour visiter les bouches de Cattaro nous accompagnent. Le 26 le temps est beau, on se dirait sur un lac, la mer est comme un miroir, nous continuons notre route vers l'entrée de l'Adriatique. Le 27 nous arrivons au point de concentration. Nous croisons toute la nuit et le 28 au matin deux sous-marins sont désignés pour aller faire une reconnaissance dans les bouches de Cattaro. _UNITEi_Le Verrier_ monte à Cattaro et le _UNITEi_Bernouilli_ aux environs des Iles qui se trouvent plus au Nord de Cattaro. Leur mission n'a pas eu grand succès et ils durent retourner au lieu de concentration. Dans l'après-midi, la _UNITEi_1ère division_ recoit l'ordre de faire un charbonnage de 2 h. 1/2. Nous avons embarqué 250 tonnes. La nuit même route que les nuits précédentes. Le 30 même chose, charbonnage de 9 h. 1/2 à midi 300 tonnes ensuite nous faisons route sur Cattaro au nord des Îles Ionniennes où se trouvent le _UNITE_49_ et le _UNITE_50_ ainsi que la _UNITEi_1ère Division_ et _UNITEi_2ème Division_ de croiseurs pour ainsi dire toute la _UNITEi_1ère Armée Navale_, réunion des amiraux et des commandants à bord du _UNITE_50_. À 4 h nous faisons route vers Antivary accompagner le courier qui va envoyer des canons et des munitions pour installer une batterie de siège sur le mont Lovcen qui domine Catarro. On y installe également un TPS. Pendant que le courrier débarque son chargement nous poussons jusqu'à Cattaro. Le soir on retourne au point de concentration de la veille. Le 1er septembre nous retournons vers Cattaro. Les bateaux autrichiens ayant sortis l'Amiral décide de faire une démonstration navale; nous arrivons en face de Cattaro, mais une brume épaisse enveloppe la terre; on vient sur la gauche et on pique une bordée vers le large. Les contre torpilleurs font le lacet c'est à dire que de chaque côté des cuirassés et devant ils marchent en faisant des zigzags; l'un va sur la droite et l'autre sur la gauche de façon que leur sillage se croise. Cette manœuvre est funeste aux sous-marins qui sont obligés de plonger pour éviter l'abordage et ne peuvent par suite repérer les bâtiments. Enfin avec le soleil qui se lève la brume se dissipe et l'Amiral signale ligne de combat, ligne de file et on se dirige de nouveau vers les bouches de Cattaro. On est très près de terre quand on rappelle au poste de combat. Les bâtiments étaient à une distance de 400 mètres et à 15000 mètres de terre. Le _UNITE_50_ ouvre le feu à une distance de 14500 m. Puis à tour de rôle les bâtiments tiraient à une distance de 14000 m. sur deux points très difficiles à repérer. Nous n'avons pas pu connaître les dégâts causés mais une épaisse fumée s'élevait de terre après chaque coup; on tirait par salves. Les forts n'ont même pas daigné répondre à notre bombardement; c'est probablement parce qu'on était trop loin. Pendant 2 heures nous continuons notre route vers le nord puis nous faisons 1/2 tour et nous dirigeons vers l'entrée de l'Adriatique. Le 2, 3 et 4 charbonnage, vivres, animaux vivants, pommes de terres arrivés par le transport Ving Long. Le 6 le même trafic, compléter le charbonnage puis propreté du bateau et lavage de linge toujours par bordée de veille.

Le 7 septembre approvisionnement des torpilleurs qui eux faisaient des rondes pendant notre approvisionnement. Le _UNITE_80_, _UNITE_82_, la _UNITEi_République_ , la _UNITEi_Démocratie_ ainsi que la _UNITEi_1ère Division Légère_ font route pour Malte où nous allons passer au bassin. La mer est très agitée, quelques uns ont le mal de mer. C'est le commencement de l'hiver. Le 9 à 7 heures nous allons au bassin pour carénage; le travail se fait par les ouvriers du port qui travaillent toute la nuit; le matin ils avaient fini et on sort du bassin. Aussitôt charbonnage complété à 2400 tonnes. Le lendemain 10 et 11 embarquement des vivres, farine et vin. À 8 heures le _UNITE_828_ qui avait été au sec au golfe Juan et qui était resté en réparation à Toulon arrive à Malte ainsi que le Paris. Le 12 nous appareillons pour l'Adriatique. La mer est démontée et les bateaux font des plongées. Ils se soulagent tellement qu'on voit la quille devant et s'enfoncent ensuite disparaissant pour ainsi dire et l'eau balaye la plage avant quand le bateau se soulage de nouveau; toute cette eau déverse de chaque côté et par les écubiers comme des torrents.

Le 16 dans la matinée on arrive à Corfou et on commence l'embarquement de 250 tonnes de charbon par cargo accosté qui se trouve tous mouillés dans la baie de Corfou; durant toutes le hostilités des cargos seront ainsi envoyés ici à notre disposition avec du charbon, des bêtes et tout le nécessaire.

Le 18, le _UNITEi_Liamone_ arrive avec le courrier; les cœurs sont serrés car on va avoir des lettres; qu'allons nous apprendre ? Comment ca va dans notre beau pays de France, que font les boches, car nous ignorons les nouvelles ici? La T.S.F. envoie bien des nouvelles mais il n'y a rien à y croire puisqu'elles démentent le lendemain ce qu'elles ont annoncées la veille; et une anxiété étreint le cœur. Nous avons confiance mais quand même on est pressé d'avoir des nouvelles. Et puis la famille. Le _UNITEi_Liamone_ a également du matériel pour Antivari et nous allons l'escorter là-bas. Demain matin on sera là-bas, et je crois que nous montons plus au nord de Cattaro. Le 18 en effet nous croisons devant Antivari pendant que le _UNITEi_Liamone_ décharge son matériel puis nous poussons jusqu'à Cattaro pur surveiller le bouches voir s'il n'y a pas quelque prise ou victime à faire par là.

En passant nous ne voyons rien, alors l'armée navale continue sa route vers le Nord à l'exception de la _UNITEi_2ème Division de Croiseurs_ et le cuirassé _UNITE_879_ qui sont restés surveiller Antivari. L'armée navale arrive en face de Raguse, l'île qui se trouve un peu au sud de Trieste. Les torpilleurs passent entre l'Île et la terre. À notre approche, les autorités ont pris la poudre d'escampette. L'amiral a jugé inutile de bombarder la ville. Il a envoyé le torpilleur _UNITEi_Lanquesnet_ visiter les autres îles. Le _UNITEi_Lanquesnet_ a mis une section de compagnie de débarquement à terre à Lissa. Ils ont fait deux prisonniers, les gardiens sémaphoriques, et ont démoli les appareils de télégraphie et le phare. Ils ont pris des vivres, de la volailles (sic). L'armée descend vers le sud ouest, nous trouvons une autre île, cette fois c'est l'_UNITE_22_ qui l'inspecte; elle paraissait déserte. Les gardiens du phare sont restés introuvables mais nous avons détruit tout ce qui pouvait nous nuire, la T.S.F. et une grande quantité de fils électriques. Pendant ce temps-là, la _UNITEi_2ème Division Légère_ et le _UNITE_879_ poussaient une reconnaissance jusqu'aux bouches de Cattaro. Ils se sont approchés à 6 200 mètres. Les forts les voyant venir si près ont tiré sur eux sans les atteindre; seul le _UNITE_879_ a reçu un éclat d'obus dans la batterie sans causer de dégâts, personne de blessé. Mais le torpilleur _UNITEi_TRIDENT_ qui se trouvait entre la terre et les bateaux n'a dû son salut qu'à l'adresse de son commandant. Les coups tombaient autour d'eux mais le torpilleur s'est mit (sic) à cracher de la fumée et est devenu invisible dans sa fumée. Les jours suivants, charbonnage aussitôt terminé, nous appareillons encore vers l'Adriatique car le charbonnage se fait toujours à Corfou.

Le 30. La mer est déchaînée nous marchons jour et nuit.

Le 1er octobre. Le courrier arrive, nous complétons notre charbon et le samedi 2 nous l'escortons à Antivari. Le Dimanche, route vers le nord de l'Adriatique. L'aumônier a dit une messe à 9h. Pendant la messe un aéroplane autrichien a passé au dessus de l'escadre faisant route sur Antivari et en passant au dessus du _UNITEi_Liamonne_, il laissa tomber 2 bombes mais il a manqué son but. Le temps est superbe et de sur le pont nous admirons la côte ennemie. Malheureusement, il faut se réapprovisionner et pour cela il faut quitter cette côet pour celle de notre amie la Grèce. Là nous ne risquons pas d'être surpris. Voilà comment s'écoule notre vie.

Il nous est défendu de nous battre et cela pèse sur notre cœur. Tous les jours se ressemblent. Poste de veille par bordée exception le jour du charbonnage. Ce jour-là tout le monde est au charbon moins les hommes qui font partie de la conduite du navire. Et il faut voir quand le charbonnier est accosté l'équipage du cargo (sic) comme elle le prend d'assaut. On dirait que les hommes vont à l'abordage. Aussitôt pelles et pioches se mettent en action et elles s'enfoncent poussées par des bras vigoureux dans le charbon entassé dans la cale du cargo. C'est un peu plus dur que de creuser la tranchée. Et malgré la pluie ou le vent qui l'un vous mouillant l'autre vous aveuglant rendent le travail plus dur, il faut que le charbon aille dans les sacs. Ces sacs sont ensuite hissés par les mats de charge et déposés sur des plate-formes disposées près des sabords de charge. Là, l'équipe intérieure vient les prendre et les traîne jusqu'aux trous qui donnent accès (sic) dans les soutes; des manches disposées spécialement conduisent le charbon dans ces dernières. Nous embarquons ainsi de 110 à 160 tonnes à l'heure en moyenne.

Et c'est ainsi que s'écoule notre vie jusqu'au jour où l'Italie se met de la partie. Quelques jours après nous nous rendons à Augustava en Cicile (sic) où il y a des manifestations patriotiques. Les jeunes gens et les vieux non mobilisés sont venus drapeaux en tête comme une procession sur les quais où ils ont embarqués dans les embarcations de pêche et sont venus défiler autour des cuirassés français en jouant de la musique. Tous les équipages étaient massés sur les ponts des navires et mêlaient leurs cris d'enthousiasme à ceux des Italiens. Les sons de notre musique se mêlaient à la leur et comme la voix des hommes, les notes des deux hymnes s'entrelaçaient dans les ondes hertziennes. Le lendemain nous sommes repartis pour Malte où nous sommes restés 15 jours.

Service au mouillage, exercice et propreté.

On fournissait des corvées pour les bateaux qui venaient se ravitailler, puis nous sommes partis pour Bizerte, changer nos munitions et les visiter.

Nous avons profité de ce temps pour faire des écoles à feu sur les rochers de Bizerte puis nous avons appareillés pour Malte.

Texte de la première carte postale insérée par le transcripteur au carnet : _PAROLE_ _UNITE_80_ le 17 juillet 1915 Chère cousine Voilà quelque temps que je ne vous ai pas écrit c'est que je n'ai pas beaucoup le temps Je me porte toujours bien et j'espère que vous êtes tous de même et mon filleul ne commence-t-il pas à faire la boxe encore. Qu'il se dépêche de grandir. Je n'ai pas de nouvelle de Pierre je ne sais pas s'il reçoit mes cartes. Il a du vous dire que Jean est prisonnier en Allemagne Embrasse bien les enfants pour moi et doublement Msieur Cyril Bien le bonjour à miss Rouxel et à sa mère. Le cousin qui vous aime et vous embrasse Le Garignon François qtier mtre cnier à bord du _UNITE_80_ Toulon (Var) a suivre_

Au bout de 15 jours que nous y étions j'ai tombé malade de la fièvre scarlatine et d'un effort que j'avais attrapé au Charbon. Août 1915.

Pendant que j'étais sur le lit de l'infirmerie rompu et fatigué mais non malade puisque mon mal ne me faisait pas souffrir, le _UNITE_80_ reçoit l'ordre de rentrer à Toulon. Le 20 l'Amiral embarque sur le _UNITEi_Vergniaud_ et nous rentrons en France.

En arrivant les docteurs me voyant décliner et l'Amiral ayant dit le jour où il a débarqué et qu'il est venu nous voir qu'il faudrait me donner du repos, les docteurs m'ont expédié à l'hôpital. C'est l'infirmière qui s'est aperçue (sic) que j'avais la fièvre scarlatine après 25 jours que je l'avais. Je pesais 48 kg. Le Kisst (sic) produit par suite de l'effort devait être opéré (sic) mais comme il arrivait des grands blessés tous les jours on retardait toujours l'opération si bien qu'au bout de huit jours, quand on s'est décidé, il était trop tard le mal était parti.

Dans l'après-midi, j'ai été évacué sur l'hôpital auxire Annexe A. Mais comme il m'a fallut (sic) faire des efforts pour mon sac et pour marcher, le Kisst (sic) était revenu. J'ai été soigné par le docteur _HOMMEi_Mercier_ qui l'a fait disparaître et, au bout d'un mois, j'avais repris mon poid (sic) normal et mon agilité. Je suis allé au 5è dépôt d'où après 4 jours de repos on m'a accordé 11 jours de permission.

Mois de novembre. En arrivant à Paris, j'ai été trouver l'objet de mes pensées et je l'ai décidée à venir avec moi au pays. Nous avons rendu visite à ses parents et le soir on prenait le train pour Guimgamp. De Guimgamp nous avons marché à Pommerit mais la route ne nous a pas parue longue. J'ai laissé ma chère Victorine là et j'ai monté sur ma bicyclette qui depuis le commencement de la guerre était dans le port à Toulon et que j'avais eu soin d'amener avec moi. J'ai fait cap sur Gommenec'h et ensuite sur Lanvollon pour retrouver la chère tante qui était partie au marché.

J'ai ainsi passé 7 jours, sept jours heureux entre ma chère tante et ma fiancée. Je n'ai fait aucune visite étant encore trop faible et ayant besoin de repos. Je suis parti pour Toulon où j'ai passé huit jours au dépôt. J'ai ensuite été embarqué sur le cuirassé _UNITE_1_. Mais depuis ma permission, j'avais une drôle d'idée en tête, je voulais me marier et comme je croyais que le bateau resterait encore pour 6 mois à Toulon, j'ai fait ma demande. Elle a été accordée et j'ai eu 12 jours. Comme j'avais tout préparé ou fait préparer je suis parti le 28 mars et le 2 je me suis marié. Me voilà en pleine lune de miel mais hélas cela ne dure qu'un temps et après les 12 jours et les 4 de prolongation que j'ai demandé il a fallut (sic) partir. C'était très dur mais le devoir avant tout et, ma fois (sic), je suis partit (sic). Le 12 mai nous partions de Toulon pour aller rejoindre l'armée navale qui était au mouillage à Argostalie, Île de Céphalonie au sud ouest de la Grèce. Là nous avons pris l'Amiralissime Dortige du Fournet. Nous sommes restés là jusqu'au 15 août au mouillage.

Tout le gros de l'armée y était. C'est une grande rade bien abritée, malheureusement le mouillage est défectueux. Nous avons fait des tirs et des exercices de lancement de torpilles. Le 15 août nous sommes partis pour Malte en visite officielle. Nous y sommes restés 8 jours et le samedi il devait y avoir réception à bord mais nous avons reçu l'ordre d'aller à (Mélos) ou Milo, Île au Sud Est de la Grèce dans la mer Égée et qui nous sert de base de ravitaillement depuis le coup des Dardannelles. Nous ignorons ce qui se passe mais il nous a été fait une conférence au sujet d'un combat où nous aurions à bombarder dans le détroit qui donne accès au canal de Corinthe 5 forts grecs (sic) et des batteries de cote. C'est donc que l'objet visé est le port de guerre grec (Salamine). Nous sommes ici dans les 30 navires de guerre Anglais et Français tous prêts à appareiller au premier signal. Le _UNITEi_BRUIX_ est partit (sic) pour Salamine où il doit rester 24 heures et si les grecs lui font déguerpir après 24 h., nous irons bombarder la cote car il nous faut Salamine de gré ou de force comme base navale.

Enfin voici en l'air le signal tant attendu d'appareiller. Nous appareillons en ligne de file à une vitesse de 16 nœuds; les cuirassés anglais ne peuvent pas suivre et sont obligés de prendre la queue de la ligne. Au bout de 5 heures de marche nous arrivons en face du phalère et nous nous engageons dans le canal dragué à l'avance et chaque côté duquel sont échelonnés les dragueurs et torpilleurs. On a rappelé au poste de combat et je me demande si je vais être obligé de bombarder et d'anéantir ce pays où j'étais venu en ami 3 ans auparavant, et qui m'avait fait un si bon accueil. Enfin la vie est si étrange qu'il ne faut s'étonner de rien. Nous nous enfilons assez rapidement dans le chenal qui mène à Salamine et nous passons devant les forts qui n'ont pas l'air de nous apercevoir; j'ai entendu quelques jours après qu'une demi heure avant notre apparition ils avaient l'ordre de nous empêcher d'entrer mais l'ordre a été annulé heureusement pour eux.

Maintenant c'est l'Amiral HOMMEi_Dastige_ (Note du transcripteur : _HOMMEi_Dartigue_) qui prend la direction de la politique, il va commencer par envoyer des ultimatums à _HOMMEi_CONSTANTIN_ qui lui aura toujours l'air de céder en protestant mais il se fatiguera un jour et pour sauver sa couronne il organise ou du moins sa femme avec l'aide des agents boches conspire contre nous et forment une ligue pour mettre entrave à notre politique; c'est la ligue des réservistes ou royalistes ou boches. Les Allemands ont payés (sic) ses gens pour l'espionnage et pour les empêcher de se joindre à nous; ils les ont compromis dans toutes sortes d'affaires louches. Sous la menace du déshonneur et de la mort les gens obéissent aveuglement à l'Allemagne.

Nous voyons la preuve dans la livraison des forts de Macédoine qui était préparée par les agents boches, et pendant ce temps nous dormions comme toujours, nous perdions notre temps en vaines protestations et en menaces. Menaces vaines, car tous les étrangers connaissent comme les grecs, nos hommes politiques qui en fait de patriotisme et d'énergie, savent se voter un supplément de solde pour la nourriture pendant que les soldats et les marins mangent des haricots et de la viande frigorifiée et se contentent de 20 sous par jour pour leur nourriture.

L'Amiral _HOMMEi_Dartige_ et ses aides les amiraux des escadres présentes demande en compensation pour la livraison des forts de la Macédoine, qu'on lui livre l'escadre légère grecques (sic) et que les équipages qui voudraient se joindre au mouvement du gouvernement de Salonique aient toute liberté. Plusieurs torpilleurs se sont échappés déjà et sont venus s'approvisionner chez nous.

Le gouvernement refuse et criant bien haut, _PAROLE_Vous nous marcherez dessus (sic) mais vous n'aurez pas nos bateaux_. L'Amiral donne 48hrs pour que les équipages réfléchissent à ce qu'ils doivent faire. Ceux qui veulent se joindre à nous resteront à bord; les autres devront débarquer pour midi. À midi tous les canots à vapeur et vedettes sont armés les cuirassés embossés et on rappelle au branlebas de combat. On est énervé; faudra-t-il couler ces bateaux. Non car un aéroplane survole le port et a vu que les équipages avaient mit (sic) pied à terre.. Aussitôt prévenu l'Amiral ordonne l'ordre aux embarcations d'aller prendre possession des bâtiments et c'est ainsi qu'on voit vedettes et canots à vapeur en ligne de front qui se dirigent vers le fond du port où les remorqueurs et chalutiers viennent prendre à la remorque les torpilleurs, largués par nous et les ramener en rade sou (sic) notre protection.

Mais les réservistes mécontents sont allés attaquer la légation de France, c'est le commencement du conflit. On envoie une garde de marins à Athènes au consulat. Protestation du gouvernement qui promet de protéger Mr. Guillemin. L'Amiral ne veut rien savoir et la garde reste, puis c'est la révolution qui commence; les Vénizélistes sont arrêtés et jetés en prison par le roi; le gouvernement français proteste. On découvre une organisation d'espionnage chez les ministres d'Autriche et de Turquie. L'Amiral les fait arrêter et expulser. Quelques jours plus tard c'est le ministre Bôche et Bulgare qui sont expulsés. C'est la ruine des Bochaphiles, mais la reine reste et les soutient, ainsi que le malheureux _HOMMEi_CONSTANTIN_ qui n'est qu'un enfant entre ses pâtes (sic). Les agents de la reine vont donc pousser les réservistes à se révolter et à combattre les venizélistes d'où il s'ensuit qu'à Athènes il règne un grand désordre. Les ministres ne pouvant rétablir l'ordre et les Vénizélistes se plaignant à juste raison d'être privés de leurs libertés, d'être mis en prison sans motifs, le gouvernement Français (sic) décide de prendre le contrôle à sa charge, on envoie donc des agents pour le contrôle des chemins de fer, de la police et des télégraphes et téléphones. _HOMMEi_CONSTANTIN_ est bouclé (bouché?), il ne peut rien sans passer par les alliés; la situation est intolérable pour les boches qui ne peuvent plus agir à leur guise; les Vénézélistes sont protégés par une compagnie de débarquement qui se trouve logée au Zappéicon mais le gouvernement proteste et demande à ce que le contrôle soit levé où ils nous chasseront. L'Amiral n'en tient pas compte et continue à envoyer des notes, maintenant il demande la remise au gouvernement provisoire des canons et fusils grecs et qu'ils ont payés comme le reste des grecs.

Le gouvernement refuse, alors l'Amiral dit qu'il les lui faut et qu'il les aura; les grecs prétendent qu'ils se défendront et que pour les avoir il faudra passer sur leurs cadavres. Eh Bien! nous aurions passés sur leurs cadavres pour leur donner la liberté si on aurait laissé l'Amiral faire. Nous avons passés sur bien des cadavres de nos frères pour acquérir notre liberté. Alors pourquoi pour la faire triompher cette liberté, pour donner aux soldats de Salonique les armes de leur pays pour le défendre, n'aurions-nous pas passés (sic) sur les cadavres de l'armée boches (sic) d'Athènes et sur ses ruines s'il aurait fallut ?

Non l'amiral devait maintenir l'ordre avec ses 2 ou 3000 marins qu'il envoyait à Athènes pour protéger les Vénizelistes contre une armée de boches, préparés depuis des mois pour l'attaque. Et on a vu cette poignée de marins se tirer de ce guêpier où ils étaient enfermés prisonniers avec leur Amiral. Que s'est il passé, toujours est-il que le lendemain à l'appel il manquait plusieurs des nôtres et on les trouvait dans l'hôpital assassinés à la bocherie. Les prisonniers avaient été amenés à bord mais quelques uns des prisonniers tel que le canonnier breveté _HOMMEi_Gassier_ avaient été massacrés. Les grecs se sont conduits comme des Turcs et méritent comme eux et les boches de disparaître ou de souffrir d'être gouverné par une peuple plus civilisé queux (sic). Enfin après ces journées mémorables où les cuirassés ont assistés à l'agonie de leurs équipages sans tirer de leurs monstre d'acier nous avons décidés d'armer la flotte légère grecque. Mais jamais je n'oublierais ces journées où je me tordais de rage et de douleur de voir à portée de nos canons des français être massacrés sans secours. Et eux de quels regards anxieux attendaient-ils de voir tomber sur ces boches un de nos pruneaux. Je ne connais plus le français, comment de tout ces cuirassés aucun armement n'est survenu, et sans ordre n'aie bombardé Athènes. Je le regrette que le marin trop respectueux de la discipline ne veuille plus se révolter même quand on assassine ses frères. Les grecs nous ont tourné en ridicule et on dit que nous avions des cuirassés avec des canons en bois. Quelle allusion blessante après l'œuvre criminelle. C'est donc une insulte et une blessure grave de faite à notre marine par les hordes d'Athènes. À qui le devons-nous? Est-ce à notre Amiral? Est-ce aux hommes d'états qui gouvernent notre pays? Dans l'un ou l'autre des cas, le marin ne le pardonnera jamais et sa confiance est diminuée. Il ne croit plus à rien; il se laisse mener attendant la fin de la guerre avec impatience, car il est persuadé que Ses chefs n'estiment pas à leur valeur le sang généreux versé ni l'énergie dépensé et qu'ils ne font pas assez de cas de la vie du matelot.

Pour M.r _HOMMEi_Guillemin_ s'il avait été tué on aurait déclaré la guerre, pour avoir massacré quelques centaines de marins, tout juste qu'on ne décore pas _HOMMEi_CONSTANTIN_ et sa clique; ça viendra et on veut nous imposer l'estime et le respect pour nos chefs et notre gouvernement. Hélas, il faudra qu'ils se conduisent autrement qu'ils ne le font. Maintenant nous avons quittés le Pirée nous voguons ou du moins roulons et tangons sur une mer démontée. La pluie tombe à verse, il fait nuit noire et on ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Où allons-nous? Je ne sais mais il me semble qu'on se rend à Corfou d'après la route que nous faisons. Deux torpilleurs nous suivent, les malheureux! Ils passent autant sous les lames comme dessus. Qui vaudrait vivre cette vie, toujours mouillés, ne pouvant dormir, étant balancés hors du hamac ou cogné contre le plafond et les cloisons. Entendre le bruit de la coque craquer et trembler sous la poussée de l'eau comme si elle allait se fracasser en mille miettes.

Enfin le jour commence à paraître et à notre droite on aperçoit la terre, c'est le cap Matapan; je le reconnais pour y être venu charbonner pendant ma croisière dans l'Adriatique et pour y être venu saluer les héros blessés des Dardanelles _UNITEi__UNITEi_SUFFREN__, _UNITEi_Gaulois_, _UNITEi_Jauréguiberry_. Nous allons à Corfou sans doute car nous continuons la route vers le Nord. Bientôt c'est Navarrin, Zante, Argostoli, Loucade, Paxos, Antipaxos puis Corfou. Toutes ces îles longent la côte grecque et dans leurs criques et rades on trouve de jolis abris pour se cacher pour charbonner. On peut accoster la terre très près car il y a beaucoup de fond à raser terre.

Maintenant nous voilà à Corfou, me voilà revenu dans ces parages dangereux où j'ai tant trimé au commencement de la guerre. Corfou longe la côte grecque et entre la terre ferme et elle c'est une grande baie que nous avons pris comme base navale. Les deux entrées, celle du Nord et l'autre au sud sont fermées par deux rangées de filets. L'escadre y est ainsi en sûreté et peut évoluer facilement dans cette grande rade et se livrer à tous les exercices. Corfou est très grande comme île, la ville qui se trouve dans une baie est très ancienne. Les rues sont très étroites à certains endroits on ne peut y passer à deux de front. Tout ce qui est intéressant c'est le musée et les jardins ainsi que la citadelle sur laquelle flotte en ce moment le pavillon tricolore que gardent les zouaves. Tous les jours nous appareillons pour faire des exercices, tirs réduits, télémétrie, lancement de torpilles, exercices d'attaque contre torpilleurs et ses marins. Dès que les services et les exercices nous laissent un moment de répit on profite pour écrire aux chers aimés et comme nous avons espoir d'aller à Toulon on ne parle que de permissions. Voilà encore 10 mois que je n'ai pas été en perm. Je ne suis pas plus favorisé ici que sur le _UNITE_80_. Ce n'est pas le rêve d'être sur le bateau amiral. Sur rade se trouvent également le _UNITEi_St-Ypres_ (_UNITEi_St-Yves_??? difficile à lire) _UNITE_49_, la _UNITE_228_, le _UNITE_80_, le _UNITEi_Vergr...._, les trois croiseurs _UNITE_22_ et une ribambelle de torpilleurs et de bateaux de commerce.

Voilà qu'on met une division à l'appel pour hisser les cartahus. Lavage de linge ce soir. Voilà une chose que les ménagères ne sont pas aussi habiles que nous à faire. Ce soir sans lumière, une dizaine sur chaque bailler d'eau nous laverons notre linge et demain quand il sera au sec, il sera aussi blanc que n'importe quelle lessive de pipelette. Les exercices sont terminés et nous attendons les munitions pour faire le tire réel. 28-7-17

Nous avons fait les tirs qui ont été faits dans de très bonnes conditions avec un bon pourcentage. Ces exercices ont duré trois semaines et aujourd'hui nous avons terminés par le lancement de torpilles, nous rentrons au mouillage ou du moins au coffre d'amarrage, car le bâtiment Amiral a un coffre pour s'amarrer et à ce coffre aboutissent de câbles télégraphiques et téléphoniques qui relient les postes du bord aux postes de terre ou au poste du câble sous-marin qui nous relie à Malte et France et l'Angleterre.

Maintenant nous sommes de corvée. Quand il arrive un bateau ravitailleur des hommes de l'équipage vont le décharger et le charger après du matériel qui doit être envoyé en France pour réparation ou pour être condamné.

Nous menons la vie du mouillage. Le programme de la semaine du temps de paix ce qui n'est pas tout à fait du goût de l'équipage qui est assez énervé par cette vie de privations de toutes sortes. Le lundi lavage de linge de 6h à 8 heures, ensuite poste de propreté école de 10 à 11 h. dîner, à 1h au service des maîtres pour l'entretien du matériel, permissionnaires à 2h jusqu'à 6h. par division.

Il y a des permissionnaires le vendredi, samedi, dimanche et lundi. Les autres jours sont pour l'entraînement au combat; bien entendu les inspections de toutes sortes viennent encore augmenter la mauvaise humeur du marin qui préfère cent fois mieux passer ces 2 heures d'inspection du mardi, jeudi et samedi sous les obus qu'aligné sur le pont. Tout cela énerve et mécontente le marin, surtout qu'il faut être propre ce qui ne lui déplaît pas, mais il faut être réglementaire alors qu'il n'y a même plus d'effets à lui fournir.

Je les entends mes camarades murmurer contre ces choses inutile en temps de guerre. Et dire que les officiers feraient mieux de travailler pour la victoire en cherchant le meilleur moyen de combattre l'ennemi et d'empêcher les sous marin de torpiller les bateaux que de passer leur temps à faire des inspections. N'est-il pas ridicule de voir les hommes après avoir passé l'inspection à 10h avec le commandant la repasser encore pour descendre à terre à 2h avec le même linge dans la même tenue. Une dépêche ministérielle est parue d'économiser les gris qu'il n'y en a plus et de faire porter les bleus de chauffe. Pour économiser les gris on nous oblige à être en gris de ch. 6h du matin à 7h. du soir. Voilà comment on observe les règlements. Les décrets ministériels ? Jamais ils ne sont portés à la connaissance de l'équipage, si quand il s'agit d'économiser le pain et de diminuer la ration. D'ailleurs messieurs les représentants du peuple ont bien soin d'augmenter leur solde à cause de la cherté des vivres, eux qui touchent autant pour chacun comme 100 de nous autre; alors que c'est nous qui trimons et qui défendons la _UNITE_879_, tandis qu'eux ils passent de temps en temps au pouvoir pour remplir leurs poches et que fait chacun d'eux? rien que désorganiser le pays puisqu'ils n'ont pas trouvés le moyen d'empêcher la pénurie de tout. On parle d'allocation. Les allocations ont été distribuées à ceux qui n'en avaient pas besoin, et nous vivons un tas de fainéants de prisonniers qui seraient mieux dans les fermes à travailler la terre et comme cela la vie aurait été moins chère et les allocations, on aurait pu les consacrer à d'autres œuvres. Les gouvernants ont complètement ruinés le pays en le désorganisant.

En pensant à tout cela à la misère de nos familles, nous sommes ici comme des prisonniers inactifs privés des caresses de l'aimée pendant des mois et même années sans les voir : notre caractère s'aigrit sûrement et on devient mauvais français mauvais patriote mauvais marin. Voilà ce que je suis peiné de constater néanmoins on fera tous je l'espère son devoir, quand le moment arrivera pour nous encore de nous engager dans la fournaise; mais ce devoir on le fera par instinct par habitude, parce que cela nous plaît la lutte et les dangers, parce que nous aimons les affronter, mais non parce que c'est le devoir. Il ne faut pas croire qu'il y ait dans nos actes du patriotisme, parce que nous n'y croyons plus nous n'avons pas confiance dans les hommes qui nous gouvernent puisqu'ils le font par intérêt et qu'ils n'ont plus d'honneur. Nous nous battrons avec entrain parce que c'est notre honneur d'être vainqueurs, parce que nous voulons garder la renommée des _UNITE_49_ _UNITEi_SUFFREN_ en fait et non en paroles. Pour cela, pour être comme eux, il faut taper dur sans rien dire, agir sans bruit, nos gouvernants font beaucoup de bruit beaucoup de discours et c'est les boches qui en récoltent les fruits grâce à leurs sous-marin; et c'est ainsi que la Hollande en un mot tous les pays neutres nous trahissent au profit de l'Allemagne. Notre gouvernement approvisionne les boches pendant qu'ils nous affament. Nos navires auraient bien raison depuis longtemps du ventre boche s'ils n'avaient pas ordre de laisser l'Espagne s'approvisionner ainsi que la Hollande et les états scandinaves. Nous ne comprenons pas, tant de délicatesses envers un ennemi si féroce et si barbare, pas plus que nous ne comprenons la patience de ces bons neutres qui nous admirent (parce que nous fermons les yeux sur leurs actes et leurs trahisons).

Beaucoup de belles paroles pour les gardiens du droit et de la liberté, mais ils assistent comme au théâtre sans sourciller à l'agonie de ces gardiens et c'est peut-être sans joie qu'ils les voient se relever et abattre leurs adversaires. Mais tout se paye et après la guerre ils auront beau nous flatter pour notre victoire et notre héroïsme, ils ne trouveront chez nous que du mépris et on leur fera comme aux boches avant la guerre quand les marins boches et français se rencontraient à terre dans les colonies, les français se chargeaient de leur remuer leur grande carcasse et les obligeaient à regagner leur bord au plus vite ou ils les envoyaient faire un stage à l'hôpital.

Découragé, j'ai abandonné mon carnet pendant quelques mois.

Oui découragé par l'inaction, car plus on reste inactif et plus on a la flegme. Pendant ces quelques mois il ne s'est rien passé d'intéressant de ce côté-ci. Seul l'installation d'un grand poste d'aviation hangars de dirigeables etc. est tout nouveau. Maintenant le dirigeable _UNITEi_Champagne_ est chargé de la surveillance de la base de Corfou et ils sont rares en effet les jours où il ne découvre pas des crimes dans les passes. Il y a aussi 2 ou 3 escadrilles d'avions de chasse et plusieurs hydravions pour la recherche des sous-marins et le convoyage des bateaux. 16-12-17

Enfin nous avons quitté le coffre d'amarrage pour le fond de la rade. L'endroit où nous sommes mouillés s'appelle la baie d'Ipsso. Nous nous trouvons donc au nord de l'Ile de Vido et à l'est de l'Ile appelée le Lazaret. Nous avons au nord le petit village d'Ipsso perché dans la montagne. Nous sommes venus ici pour faire des exercices de tir réduit et nous pensions tous partir aussitôt pour France. Hélas, nous sommes tous déçus car demain nous allons parait-il reprendre notre place habituelle. Aussi je sens le découragement m'envahir c'est encore aujourd'hui un triste dimanche, une de ces journées où il faut employer tout la force de caractère qu'on possède pour ne pas se révolter. Une fois que j'ai dompté mes nerfs et calmé mon esprit, que je peux me livrer à quelques pensées saines je monte à mon observatoire sur la passerelle, et là je donne libre cours à ma pensée. Bien entendu elle est rendue aussitôt à la maison, et je reste ainsi quelquefois, regardant sans voir repassant dans mon esprit toutes les joies du passé et comme c'est trop beau, et que cela me fait plaisir, le tableau ne dure pas. J'entends un avion qui passe et qui me rappelle à la réalité, et c'est alors que commence pour moi la journée triste et morose. Je regarde autour de moi et cherche à tribord à bâbord quelque chose qui soit intéressant, mais non toujours le même tableau. Là-bas dans le Sud la pointe de la Citadelle et la ville de Corfou, Un tas de maisons sans élégance aux toits sales, de ...................... (5 ou 6 mots effacés) Vido en face avec son grand cimetière où sont ensevelis les malheureux Serbes morts de misère et de faim. Ils dorment maintenant leur dernier sommeil en compagnie de quelques marins français leurs sauveurs. A l'ouest le Lazaret avec son fort grec et sur sa pointe sud la batterie de 75 contre avions. Tout autour de nous d'un côté c'est la terre de Corfou terre nue ou presque, stérile, couverte ça et là dire quelques touffes de verdure composées de pins, d'oliviers et d'orangers entremêlés. De l'autre côté la terre aride de l'Albanie, se détachant sur le ciel, en montagnes, dont les crêtes sont couvertes de neiges, qui brille par les rayons du soleil reflétés par sa blancheur. Plus près de moi mon attention est attirée par le cri d'une bande de goélands et de mouettes qui par centaines voltigent autour des cuirassés, piquant sur une miette de pain qui flotte sur l'eau et qu'ils attrapent en plein vol. Ils s'enfuient ensuite avec l'aubaine poursuivis par d'autres et je ne peux m'empêcher d'un geste de pitié en constatant que dans ce monde comme dans le notre c'est la guerre, c'est la lutte pour la vie. Ils font en petit ce que nous faisons en grand. Ils font instinctivement ce que nous faisons intelligemment.

Et c'est ainsi que s'écoule la vie et c'est ainsi que passent mes dimanches, où pour me distraire je cherche à m'intéresser à tout et à penser, mais trop de pensées envahissent mon cerveau, pour que je puisse les étaler sur ce cahier.

Texte de la deuxième carte postale que j'insère au carnet : _PAROLE_Corfou Cuirassé _UNITE_1_ 21-12-17 Mon cher filleul Je t'envoie la photo de mon bateau et dedans pleins de souhaits pour toi. Je te souhaite de grandir d'être bien sage, obéissant, intelligent Je te souhaite un bel avenir et une vie heureuse une bonne santé Je ne t'envoie pas tes étrennes mais ta marraine No 2 t'en enverra pour moi. Elle est bonne et gentille il faut l'aimer comme tu aime ton parrain de tout ton petit cœur Je t'embrasse bien fort Ton parrain qui t'aime; Signature : François Le Garignon; Adresse : Monsieur Cyril Le Garignon à coin Varin St Pierre Jersey_

Décembre 24 - 17 C'est le jour de Noël jour de fête. La grande famille c'est à dire les chrétiens fêtent la naissance de l'enfant Jésus, le fils de Dieu, celui qui est mort sur la croix après avoir donné à ses croyants une religion, c'est cette religion qui a servie de base à la civilisation. Aujourd'hui cette fête sera pour nous bien triste comme celles de 1914 et 1915, mais qu'importe le devoir avant tout. Enfin le _UNITE_80_ et la _UNITE_229_ sont arrivés, c'est maintenant notre tour de partir pour le beau pays de France, retrouver les êtres chers. Ce matin j'ai vu disposer les radeaux les mettre au poste de mer et les brises-lames sont envoyés à la forge pour être redressés car ils avaient été tordu l'année dernière par les paquets de mer. Comme il fait un fort vent tous les jours on prend des précautions pour la mer. Enfin je vais donc revoir ceux que j'aime! me reposer un peu du service. Non je n'ose y penser de peur que ce ne soit pas vrai! Les ordres changent si vite ici, qu'on passe instantanément de la joie à la déception.

Je viens d'apprendre par un ami du _UNITEi_MAMELUCK_ que le _UNITEi_CHATEAURENAULT_ vient d'être coulé. Le _UNITEi_CHATEAURENAULT_ un vieux corsaire qui faisait les voyages de Salonique à Taronte (difficile à lire) et Tarente (idem) (Théa grec) ressemblait beaucoup à un paquebot; il transportait des troupes et de permissionnaires. En passant près de Patras pour aller à Théa il faut qu'il traverse un détroit et c'est dans ce détroit qu'il a été torpillé. À la 1ère torpille il n'avait pas trop souffert et il coulait très lentement, c'était presque imperceptible, mais pendant que le _UNITEi_MAMELUCK_ et le _UNITEi_LANSQUENET_ qui l'escortaient prenaient les passagers à leur bord, le sous-marin ennemi leur a lancé une 2ème torpille et c'est alors que le _UNITEi_MAMELUCK_ ayant vu le sillage, a largué le _UNITEi_CHATEAURENAULT_ et a couru sur le sous-marin. Il lui a lancé 2 grenades qui ont bloquées un gouvernail et les hélices; il a remonté en surface 2 minutes après pour les débloquer. Le _UNITEi_MAMELUCK_ a couru dessus de nouveau. Il l'a vu qui passait à 3 m du bord. Aussitôt le commandant fait ne arrière à toute vitesse il mouille la grenade et cette fois le sous-marin a été touché. Il monte en surface et l'armement du canon court à sa pièce mais à peine le canon relevé que le _UNITEi_MAMELUCK_ ouvre le (3 mots manquants effacés) 1er coup le canon est fichu à la mer avec tout son armement. Le reste de l'équipage s'est jeté à la mer et s'est rendu 25 hommes ont été faits prisonniers y comprit le commandant et l'officier en second; ce dernier parlait très bien le français. Aussitôt que le sous-marin a coulé, les soldats qui étaient à bord du _UNITEi_MAMELUCK_ voyant hisser le pavois ont criés _PAROLE_Vive le _UNITEi_MAMELUCK_ vive la France_ et les boches ont piqués un fard, ils sont restés hébètés par ce cri de _PAROLE_Vive la France_ car chez eux il n'y a plus beaucoup de patriotisme. Un des marins c'était le quartier-maître électricien du bord du sous-marin boche, a embrassé le vaguemestre du _UNITEi_MAMELUCK_ avant de débarquer. Il était content d'être prisonnier, mais quelle frousse ils ont de nous. Ils croyaient qu'on allait les tuer tous, ils ont dans le crâne l'idée que les français ne font pas de quartier; et qu'ils massacrent les prisonniers. Aujourd'hui le _UNITEi_Guichon_ est arrivé pour remplacer le _UNITEi_CHATEAURENAULT_. Lui et le _UNITEi_Jurien de la Gravière_ l'ont paré belle plus d'une fois depuis le commencement de la guerre. Ils sont toujours en mer, et comme ils commencent à être vieux ils ne donnent plus leur vitesse normale. Étant neufs ils ont donnés 25 à 26 nœuds et maintenant ils donnent à peine 20 et même 18.

1918

Nous voilà lancés dans la 4è année de guerre et rien ne fait prévoir la fin. De notre côté nous devenons de plus en plus fort et malgré la guerre sous-marine nous dominerons l'ennemi. La Russie s'est détachée de nous de force car la révolution l'a bouleversée et l'anarchie régnant sur le front comme à l'intérieur elle est incapable de se battre, elle ne peut pas non plus signer la paix vu qu'elle n'a pas un gouvernement stable, et qu'elle est loin d'en avoir un. Comment tout ceci se terminera-t-il pour elle, hélas il est bien difficile de le deviner mais c'est une nation ruinée et qui ne se relèvera que très difficilement. Maintenant je ne puis exposer journellement dans ce carnet la vie d'ici car elle est tous les jours la même, et le temps manque pour écrire, car presque toutes les journées sont prises par les exercices et les corvées de toutes sortes.

Enfin demain nous partons pour où ? Nul ne le sait de l'équipage, car les appareillages sont gardés secrets, mais tous nous avons hâte de savoir car on espère aller en France. 7-2-18 Nous voici au poste d'appareillage et tous les cœurs sont joyeux car déjà à travers l'espace la pensée s'est transportée la bas au beau pays natal, on fait déjà des projets, une programme très chargé pour la permission. On voit d'un bon œil le séjour la bas qui près de ses vieux parents qui près de sa fiancée, qui près de sa femme et tous parient que l'on va en France.

Le 8 à 7 heures du matin. Adieu les beaux projets adieu les heures exquises et la permission, quelle désillusion ! En nous réveillant après les 4 heures de sommeil de la nuit nous avons la grande déception de voir que nous sommes en face de Malte. Tant pis la perm est retardée voila tout, il faudra attendre chacun son tour. À 8 h. 5 un hydravion vient vers nous et il nous fait du scot (difficile à lire), mais il est très difficile d'interpréter ses signaux. Les torpilleurs à leur tour font des signaux à bras. L'hydravion voyant qu'on ne le comprend pas s'éloigne je le suis des yeux pendant que tout le monde s'occupe des signaux des torpilleurs. Tout à coup je le vois qui tourne sur place et j'abaisse mes jumelles vers la mer, alors j'aperçois un sillage et presque aussitôt une bombe explose. C'est un sous-marin qui nous attendait. Aussitôt je crie _PAROLE_Un sous marin à tribord_ et le commandant fait à gauche 15 le bateau tourne sur place un coup de sonnerie à la machine et le voilà qui file à 300 tours à la minute, en même temps les pièces sont chargées. Le torpilleur _UNITEi_Tonkinois_ cour sur le sous-marin et voila l'affaire du sous-marin manqué. Il ne nous aura pas encore cette fois car nous sommes rentrés dans le chenal protégé par des champs de mines.

Le 9 nous rentrons au bassin où nous restons 3 jours J'ai été à terre c'était le carnaval, il y avait quelques masques, j'ai fait mes achats et je suis rentré à bord. Le 13 approvisionnement charbon et mazout et le 14 (ou 16 ?) en route pour Corfou et nous voilà arrivés sans encombre après un beau voyage. Maintenant la vie va recommencer et on ne pense plus voir le bateau aller à Toulon. Les paris sont perdus mais il n'y aura pas beaucoup de payés, car c'est des paris pour la frime.

19 avril Enfin quelle joie c'est mon tour d'aller en perm à midi je pars à bord du _UNITEi_Coste Hélas_ je n'ai pas de veine arrivés près du barrage on nous fait faire demi-tour et retourner à bord. Les permissions sont suspendues jusqu'à nouvel ordre, c'est à cause de l'offensive Autrichienne. Les trains cumulent et les voies sont encombrées par les convois de troupes qui viennent du front français pour arrêter les Autrichiens. Enfin voici de nouveau le jour du départ 29 avril, je ne suis pas trop fier de peur de faire encore demi-tour. Non cette fois nous embarquons sur le transport _UNITEi_Rouen_, vers 6 heures du soir nous partons accompagnés de 2 contre torpilleurs et de l'_UNITEi_Évangéline_. En sortant du barrage l'_UNITEi_Évangéline_ se jette dessus et nous le laissons là se dépêtrer et nous continuons sur Tarente. Le 30 nous arrivons à Tarente par beau temps on nous embarque sur un chaland pour aller au camp qui se trouve sur une colline. Ce sont des tentes en toile que nous avons comme abri et de la paille pour dormir. Il fait froid la nuit et il est impossible de dormir, aussi on se distrait de notre mieux on a acheté du vin et on boit pour nous réchauffer et on chante pour faire passer le temps. Le 1er mai nous embarquons dans le train et à 5 heures nous démarrons. Le train s'arrête souvent et se gare pour laisser passer d'autres convois. Il n'y a qu'une seule voie. Le pays est très accidenté et très pauvre pendant le 1er jour de voyage jusqu'à Foggia. À partir de Foggia nous longeons un fleuve pendant toute une journée faisant les contours de la vallée Le fleuve est presque à sec mais on voit par sa largeur et les criques, que par moment il doit être un torrent. On voit ça et là au haut des montagnes ou sur leurs flancs de petits villages perchés comme des nids d'aigle et on se demande par quelles communication ils se joignent entre eux. Dans les gares on ne trouve que des marchands d'œufs et de vin. Ils nous vendent 4 f. la douzaine d'œufs et 3 f. la fiasque. La fiasque c'est une bouteille contenant un peu plus de 2 litres. Enfin nous arrivons à Livourne on débarque et nous allons loger dans une vieille caserne en ville. Encore de la paille pour dormir mais au moins on va pouvoir se caler les joues et manger quelque chose de chaud. Depuis 2 jours nous n'avons mangé que du pain et des conserves qui nous ont été distribués à Torente. J'ai sorti en ville le soir mais elle n'est pas intéressante. On y remarque cependant quelques vieilles statues. Nous avons soupé dans un restaurant, très bien servi et pas trop cher. Le 4 nous repartons cette fois pour Gênes. On nous a ravitaillé en pain et en conserves. À une demi heure de Livourne nous nous arrêtons à Pise que les Italiens appellent Spezzia. Du train on aperçoit très bien la tour penchée. De tous les côtés elle est penchée et dirait-on prête à tomber. On se demande comment elle peut tenir ainsi depuis une centaine d'années.

(NDR : Plusieurs pages blanches puis tout à la fin du cahier, un poème à sa cousine Eugénie)

À ma petite amie Eugénie
Loin de toi Oh ma jolie blonde
Et de mon pays bien-aimé
Parcourant la mer profonde
Sans cesse par elle bercé
Je fouille l'horizon sans fin
Cherchant à découvrir l'ennemi
Torpilleurs, aéroplanes ou sous-marin
Mais rien ne trouble le silence de la nuit
Alors rompu par le quart et la veille
Et puisqu'il ne faut pas s'endormir
Je cherche à vaincre le sommeil
En rêvant à ton éternel sourire
Mes yeux à travers l'espace te voient triste préoccupée
Ton regard fixe l'esprit errant
Fouille le fond de toutes les tranchées
Que cherche-t-il ? Un cœur aimant
Qui la bas bravement fait son devoir
Encouragé par la présence d'une douce image
Dont il garde au cœur l'espoir
Qu'elle lui est restée toujours fidèle et sage
Mais! qu'est-ce ? Je vois de tes yeux bleus
Doucement s'échapper des larmes
Ah je vois! Oh grand Dieu!
Dans la tranchée on a crié aux armes
Et le corps inerte du cher aimé
Est là reposant sur la terre bénie
Une balle prussienne, traitreuse l'a frappé
Et ton pauvre cœur n'est-ce pas l'a senti
Maintenant c'est fini tu n'as plus de courage
Pour toi sur la terre plus de bonheur
Tu voudrais avec lui traverser les nuages
Pour dans le ciel le serrer sur ton cœur
Non tout n'est pas fini, espère!
Il reste encore des devoirs à remplir
Aider ta maman, soulager les misères
Tu y trouveras, bonheur, joies et plaisirs

Faite à bord de la _UNITE_1_ le 2-6-17

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