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Mémoire des Équipages des marines de guerre, pêche, commerce & plaisance de 1939 à 1945
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Jean DES MOUTIS
Dernier grade : Capitaine de vaisseau
Date de naissance : 11 août 1911
Date de décès : 11 janvier 1965 (54 ans)

La page du Compagnon de la Libération


États de service (7)

CHASSEUR 6 - Embarqué
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FRONDEUR - Embarqué
COLBERT - Embarqué
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LA RIEUSE - Embarqué
Capitaine de vaisseau

Article


« Les combats et l'honneur des Forces navales française : La sortie de Cherbourg le 18 Juin 1940 » (aux éditions le cherche midi) (329)

par Étienne SCHLUMBERGER le 11 novembre 2006

Mais inquiet, lorsque les allemands franchissent la Somme, je pense prioritaire que « mes » sous-marins alors en cale sèche pour l'entretien de la coque et des hélices soient au moins en état de flotter si jamais un malheur arrivait. Les tôliers sont donc réaffectés à la remise en état de la coque et des ballasts ; la modification des supports de batteries est suspendue.

Les ballasts entourent la coque épaisse d'une coque en tôle légère extérieure ; s'ils étaient isolés de la mer, ils ne résisteraient pas à la pression en plongée, Ils sont donc mis en communication avec la mer par des ouvertures obturables, en bas. Pour plonger les purges ouvertes permettent d'évacuer l'air; les ballasts se remplissent et l'équilibre des pressions se fait en plongée. Pour revenir en surface l'eau est chassée par l'envoi d'air comprimé.

Ayant décidé d'abandonner l'accorage, voilà les tôliers affectés aux ballasts dont il faut piquer et peindre l'intérieur pour les protéger de la corrosion. Dans l'inconscience du danger qui se rapproche, un ordre m'est donné de reprendre la modification de l'accorage des batteries.

Les allemands franchissent la Seine Je n'entends pas les ordres et je remets mon équipe sur les ballasts. Nouveau rappel à l'ordre. Écœuré par une telle absurdité, je persiste et demande ma mutation dans une unité combattante : l'entrée des allemands à Cherbourg m'a évité de nouvelles réprimandes et d'éventuelles sanctions. Mais les quatre sous-marins peuvent flotter.

Jusque-là, tout avait été calme, Seuls, presque tous les soirs, des avions, dit-on italiens, viennent jeter quelques bombes. Quand ils n'apparaissent pas avec une bande de copains, dont font partie Marie DETROYAT, Hubert AMYOT D'INVILLE, Jean LEVASSEUR, Élie-France TOUCHALEAUME, Jean DES MOUTIS, officiers de réserve (tous passés à la France Libre et devenus Compagnons de la Libération), nous parcourons les rues de Cherbourg en faisant des bruits de sirène pour affoler les populations et simuler l'arrivée des avions italiens. Nous étions encore bien jeunes ; c'était notre dernière facétie d'étudiants. La plaisanterie était douteuse. Les allemands approchent.

Je garde de ce début de juin 1940 des souvenirs contrastés, parfois dramatiques.

Un ingénieur de la direction des travaux de l'artillerie navale était parti vers la Basse Seine avec un canon pour en renforcer la défense. Nous le voyons revenir à Cherbourg avec son matériel : l'avant-garde allemande qu'il avait rencontrée sur la route lui avait dit de faire demi-tour et qu'elle le rejoindrait bientôt. Mais l'arsenal poursuit sa routine de temps de paix : installer le téléphone automatique qui fonctionnera le jour de l'arrivée des allemands.

De plus en plus inquiet, j'inspecte « mes » bateaux pour pousser les travaux. Dans un bassin j'entends le bruit sympathique des marteaux à piquer. Passant la tête par un orifice de remplissage pour m'assurer de la progression du travail, je vois les ouvriers jouant à la belote et bruitant avec un marteau fixé à leur pied. On a risqué une grève quand la sanction est tombée : l'affectation spéciale de ces ouvriers d'arsenal est levée et ils sont mobilisés comme de simples citoyens. Pendant quelques jours, nous recevons des exemplaires de « l'Humanité » imprimés à Paris sous l'Occupation Allemande.

Le désastre se rapproche. Cherbourg est sans défense, les allemands sont tout près. MONNERET, Ingénieur du Génie Maritime de réserve va bien mettre un canon de 75 en batterie sur la route avec quelques amis ; mais bien sûr, cela ne suffit pas pour les arrêter.

Les allemands sont à la porte. Les nuages noirs des incendies d'hydrocarbures du Havre remplissent le ciel mais nos sous-marins peuvent flotter et sortir des bassins.

Après l'évacuation de Dunkerque et devant l'avance rapide des allemands les anglais évacuent la région de Cherbourg et rapatrient toutes leurs troupes en abandonnant leurs matériels. Sur les quais du port de commerce, leurs éléments motorisés et leurs approvisionnements laissés sans surveillance font la joie des récupérateurs.

Le 17, la voix brisée et tremblante du maréchal PÉTAIN annonce l'acceptation de la défaite. Mais l'armistice n'est pas encore signé, il est temps d'agir dans l'urgence, L'amirauté donne l'ordre à tous les bateaux de partir pour l'Angleterre.

Débâcle


De cette vie antérieure au 19 juin 1940, je garde le souvenir d'un grand délabrement opérationnel et moral de la France, à tous les niveaux de la société ; quelques exceptions sont d'autant plus remarquables.

Certes, on pouvait reprocher aux ouvriers des chantiers navals leur laxisme devant les tâches essentielles et urgentes à accomplir ainsi que leurs lectures douteuses. Mais la hiérarchie qui les encadrait et leur attribuait des priorités contestables dans leur travail, était bien plus responsable et coupable d'inertie et d'inconscience devant le danger immédiat de l'occupation par l'armée ennemie. Dans son ensemble, la France n'avait pas cru à la guerre et à son imminence, malgré ses beaux discours :

« Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts. »

« La route du fer est et restera coupée. » (route du fer de Suède vers l'Allemagne par Narvik)

« Jamais nous ne laisserons la cathédrale de Strasbourg sous le feu des canons allemands. »

Dans ce contexte, j'ai quitté mon indiscipline de potache pour adopter une désobéissance réfléchie aux ordres inadéquats à mon éthique devant la menace environnante et l'imminence du drame.

Je mets quelques affaires dans ma vieille 4 CV Trèfle Citroën et file à l'arsenal où l'agitation gagne.

Certains bateaux légers en attente d'armes anti-aériennes n'ont pas encore reçu leur dotation. Le magasinier de l'artillerie navale du Homet, qui détient ces armes, refuse de les délivrer faute de bon de sortie. Comme chacun sait, « le règlement c'est le règlement ». Mais il est très content de céder sous une aimable et ferme menace. Je fais le tour des bureaux pour détruire les plans et les dossiers qui pourraient servir aux allemands mais laisse quelques documents dans certains tiroirs et de belles dames couchées sur papier glacé en tenue légère.

Le 18, dans la nuit, les bassins du Homet sont mis en eau et « mes » sous-marins, qui l'eût cru, flottent. Sur le quai s'amoncellent de lourdes pièces en cours de remontage pour les moteurs diesel Les grues sont bien là, mais sans grutiers. J'espérais pouvoir manœuvrer sans aide ces engins pour embarquer les pièces sur le pont des sous-marins mais devant l'impossibilité, il me faut renoncer.

En fin de matinée, sur ordre de la direction du port, les remorqueurs viennent tirer vers le large les sous-marins avec leurs équipages, puis les artificiers mettent en place les explosifs de destruction des portes de bassin.

« Mes » sous-marins sont partis et arriveront en Angleterre sains et saufs Toutes sortes de bateaux se dirigent vers les passes de sortie. Il règne une énorme pagaille, chacun agit à sa guise. Au grand désespoir d'une petite foule assemblée sur le quai de la Direction des Constructions Navales, ces bateaux se hâtent vers la sortie, vers l'Angleterre sans s'arrêter. Des bruits inquiétants viennent de terre. Il faut faire vite, les allemands approchent.

Le 19 juin 1940, les troupes allemandes entrent dans la ville de Cherbourg qui s'est rendue à dix-sept heures, puis dans l'Arsenal.

Depuis la veille, tous les bateaux en état de naviguer partent vers l'Angleterre. Les candidats au départ se massent sur le quai. Devant une porte de bassin minée et prête à sauter se trouve une grande et belle vedette de la DCAN mais elle est difficile à manœuvrer Elle est normalement année par deux hommes, un patron et un mécanicien. Je tente de la manœuvrer seul. Le moteur démarre : je largue les amarres, mets en arrière toute, bondis à la barre et m'éloigne juste avant que la porte ne saute.

D'autres ont donné de Cherbourg à ce moment une description apocalyptique faite d'explosions de bombes, d'incendies gigantesques et d'enfer de feu. Oui, les dépôts du Havre brûlaient très loin, dégageant d'énormes fumées; non ce n'était pas la fin du monde mais la fuite éperdue et un spectacle de désolation.

Je fais le taxi entre le quai DCAN et les bateaux en route vers l'Angleterre. J'embarque ceux qui veulent partir, peut-être une trentaine de personnes : cinq ou six à chaque fournée et les débarque en route sur les petits bâtiments : chasseurs, patrouilleurs, chalutiers armés. Mais est-ce fuir que de quitter son pays envahi par l'ennemi ?

Un enseigne de vaisseau arguant de sa prééminence sur un ingénieur du Génie Maritime, me donne l'ordre de le conduire vers un autre point de l'arsenal. Je l'envoie promener.

Cependant, les premiers allemands se manifestent par des tirs sur l'Arsenal et quelques explosions. Le quai se vide. Quand je ne vois plus personne, je mets le feu à ma vieille Trèfle Citroën et seul en milieu de journée, conduis « ma » vedette vers la passe de sortie du Homet. Au loin, en mer, on aperçoit les derniers bateaux qui filent vers l'Angleterre. Quelques tirs ennemis continuent, mais ils ne sont pas méchants.

Dans l'après-midi, ma vedette et moi rattrapons l'un des sous-marins dont j'avais la responsabilité, Comme les trois autres, il est tiré par un remorqueur qui nous prend aussi en charge ; car j'ignore quelles sont mes réserves en carburant. Mer d'huile.

Je suis fier de moi ; si je n'avais pas enfreint les ordres, les supports de batteries des quatre sous-marins auraient été modifiés, mais ceux-ci auraient été incapables de prendre le large. Je ne puis pas imaginer alors que ce départ n'est que les prémices d'une éprouvante et passionnante histoire d'amour avec l'un d'eux :

« ma JUNON ».

L'arrivée en Angleterre a lieu dans la nuit puis le lendemain matin, à Portsmouth pour l'ORION, l'ONDINE et ma vedette ; la MINERVE et la JUNON vont à Plymouth. C'est le débarquement dans un autre monde.

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